4 mars 2012

RÉBÉTIKO : Chansons Des Bas-fonds, Des Prisons Et Des Fumeries De Haschisch

AUX SOURCES DU RÉBÉTIKO. Chansons des bas-fonds, des prisons et des fumeries de haschisch. Smyrne - Le Pirée - Salonique (1920-1960) est d'abord un livre de Gail HOLST réédité en 2010. Un livre qui se dévore en une soirée et qui nous embarque dans un véritable trip musical entre Zénith & Nadir, entre occident & orient, entre la Grèce et l'Asie mineure du début du XXème siècle, précisément là d'où a émergé un nouveau genre de musique, le Rébétiko. Si sa parenté et ses origines profondes demeurent encore floues, on sait en revanche que cette musique s'est propagée dans les faubourgs et les bas-fonds des grandes villes grecques, dans les prisons et les tékés (fumeries de haschsich), notamment ceux du Pirée, le port d'Athènes et  à Thessalonique. Dans son livre, Gail Holst souligne : "Les liens existants entre la musique soufie et le rébétiko sont encore à préciser, mais ils semblent évidents. Le tournoiement du corps, la transe qui saisit le danseur de zeïbékiko*, ont été comparés par maints observateurs aux rites des derviches. L’argot rébétique est aussi révélateur d’une certaine proximité. Ainsi, le mot dervichi, qui désigne un homme (parfois une femme) qui fume du haschisch et fréquente le téké, bref un vrai rébétis**

Petit lexique à l'usage du néophyte...
Il va falloir vous y faire, le rébétiko n'est pas seulement une musique, c'est aussi des danses, au premier rang desquelles on trouve le **zeïbétiko (ou danse pour homme seul) mais il existe aussi le tsiftétéli (danse d'origine Rom ou tsigane ou encore gitane, un genre de danse du ventre très suggestive) & l'hazapiko (danse des bouchers - bien connue des grecs originaires de Turquie). C'est également un argot issu du grec et du turc, parlé dans les prisons et les bidonvilles qui émergèrent autour de grandes villes grecques consécutivement à la guerre gréco-turque de 1921-1922 et qui regroupaient toutes les populations émigrées de Turquie. Le *rébétis (ou rébétès au pluriel) désigne "un homme pleinement immergée dans la société parallèle constituée autour du rébétiko". On trouve aussi le mangkas (ou mangkès au pluriel) qui est un individu appartenant au monde des marginaux, voire pour beaucoup d'entre eux au "milieu".
Tout ce petit monde fréquente ardemment les cafés-aman (probablement une déformation tsigane du mani kahvesi turc, où 2 ou 3 chanteurs improvisent des vers de mirliton, souvent sous forme de dialogue & sur fond de rythmes & de mélodies également improvisées - Gail Holst - Chants appelés amanés parce que ponctués de "Aman, aman" ("Pitié" ou "hélas") pour se donner le temps d'inventer de nouvelles paroles.) et les tékés où des musiciens défoncés au hash qu'ils fument au narguilé jouent, chantent et dansent le rébétiko.

Dessins David Prudhomme - Rébétiko (la mauvaise herbe)
Un chouia d'Histoire...
Après la guerre gréco-turque de 1921-1922, des réfugiés "grecs" composé d'arméniens, de juifs puis par la suite de tous les coins de la Turquie affluèrent principalement dans les les faubourgs des grandes villes où se créèrent des bidonvilles portant avec dérision et nostalgie le nom des provinces d'origine de leurs habitants : "La nouvelle Ionie", "la nouvelle Smyrne"... On parle de "rébétiko d'Asie Mineure" (smyrnéïko) avec 3 chanteuses qui sont remarquées : Marika Politissa, Rita Abadzi & Rosa Eskanazi.
Pauvres, discriminés pour leur origine et leurs coutumes, parfois intégrés au "milieu", beaucoup se sont reconnus dans la culture des rébétès & des mangkès, ne serait-ce que pour leur goût commun pour la consommation de haschisch.
Aux environs de 1930, la tradition et la transmission orale du rébétiko va céder le pas à sa notation et à l'enregistrement de nombreuses compilations par les maisons de disques HMV, Columbia & Odeon.
Des artistes deviennent emblématiques : Yiannis Papaïoannou, Stratos Payioumdzis, Stellakis, Markos Vamvakaris, Nikos Mathésis, Artémis et Batis avec des destins dignes des grandes figures du blues d'outre-atlantique, avec les mêmes tragédies liées au monde de la dope. Ainsi, Artémis retrouvé mort d'overdose par un froid matin d'hiver dans une rue, son bouzouki serré dans les bras quelques temps après qu'il eût écrit La complainte du junkie (1934). Plutôt enclins à la non-violence - fumer ne procure pas la même ivresse que l'alcool - les mangkès n'en magnaient pas moins le couteau, parfois avec beaucoup de dextérité, c'était l'héritage de l'enfance de la rue...



Les Instruments - Les Textes Des Chansons.
Nous savons donc que face à des systèmes corrompus et brutaux, se sont développés des cercles d'hommes & de femmes vivant aux marges de la société qui avaient leur argot et étaient victimes de répressions (les koutsavakithes, les mangkès, les rébétès, les vlamithes, les tsiftes...)
Une coutume commune : la consommation de haschisch. Légale en Turquie mais juste tolérée pendant quelques décennies en Grèce.
Les principaux tékés se trouvaient dans le quartier de Troumba au Pirée & celui de Barra à Thessalonique.
Ces tékés étaient évoqués par les rébétès dans leur compos ( téké Sidhéris de Thessalonique mentionné dans la chanson Throsula " Le matin à la rosée"). En fait, comme l'explique Gail Holst : "On peut comparer le rébétiko avec le blues urbain de la Nouvelle-Orléans, de Chicago & de Harlem. On y retrouve le même sentiment d'être rejeté par la société, le même langage d'initiés (le parler hip des Noirs et l'argot des mangkès sont étonnamment semblables dans leur inventivité et leurs sujets de préoccupation : la drogue, la prison, la police, le sexe prédominent dans l'un comme dans l'autre); on y trouve encore la même capacité à communiquer sa souffrance, la même combinaison de soumission et de défit..."

Le bouzouki (très proche du saz en turc) & le baglama sont les deux instruments majeurs du rébétiko, de la famille des luths à col long. Viennent aussi le violon &  la guitare.
Pour le baglama, on apprend que ces  petits luths pouvaient être fabriqués assez facilement dans les prisons (une calebasse pour la caisse, un bout de bois pour le manche, du fil de fer & un bout de boyau pour les cordes...)
Composées en prison, les chansons gagnaient les faubourgs des grandes villes où elles se popularisaient.
Pour appuyer la cadence, les musiciens utilisaient le komboloï, un chapelet profane d'ambre que l'on frappe contre les verres. Dans les café-aman se produisaient des duos de femmes, l'une interprétant des chansons de style turc, l'autre dansant. Selon la provenance des Roms de Turquie, elle utilisaient des cymbales et des tambourins pour appuyer le rythme du morceau.

Grandeur, Oubli & Revival...
L'apogée du rébétiko "piréïote", joué par des hommes et comme son nom l'indique, issu du Pirée (berceau du rébétiko enregistré) et fondé sur le bouzouki se confond avec l'époque du Quartette du Pirée composé de Markos, Stratos Payioumdzis, Artémis & Batis dans les années 1920 et 1930).
Un revival viendra sous la dictature des colonels (1967- 1974) puis à travers la mode de la World Music au même titre que le fado, le tango ou le flamenco (années 80 & 90)

Autres musiciens & personnalités importantes du rébétiko : Anestis Délias, Apostolos Hadjichristos, Vassilis Tsitsanis.

Sources & Liens :
Le livre de Gail Holst : AUX SOURCES DU RÉBÉTIKO - Chansons des bas-fonds, des prisons et des fumeries de haschisch. Smyrne - Le Pirée - Salonique (1920-1960)




"Les chansons du rébétiko ont été écrites par les rébétès pour les rébétès... Ceux qui avaient de la peine et la balançait à la gueule du public." Yorgos Rovertakis

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