15 nov. 2010

EMMET GROGAN - (1943–1978)

1968, au London Ronhouse.
Pour une série de meetings sur la "Dialectique de la Libération" se sont rassemblés par milliers des adeptes de la contre culture : hippies chevelus, anarchistes pacifistes, révolutionnaires pro-castristes, membres des "black panthers", beatniks hallucinés… Leur point commun : Le mépris de l'ordre injuste (mépris qui peut aller jusqu'à la détestation), et l'espoir de changer la société.
Plusieurs orateurs se sont déjà succédés lorsque Emmett Grogan est invité à prendre la parole. Son discours, plein d'exaltation et largement gesticulé, est à peu près ceci : "Notre révolution fera plus pour réaliser une transformation réelle, intérieure, que toutes les révoltes modernes prises ensemble !…
 
A aucune étape de notre avancée, à aucune étape de notre combat nous ne devons laisser le hasard nous guider !
Nul ne peut contester que, durant l'année qui vient de s'écouler, une révolution d'un caractère absolument considérable a enflé comme une tempête parmi la jeunesse de l'Ouest.
Regardez la puissance de la prise de conscience de la jeunesse d'aujourd'hui !
Considérez l'unité profonde de notre volonté, notre unité d'esprit, l'accroissement de notre communauté de pensée ! Qui pourrait nous comparer à la jeunesse d'hier ?
Tous unanimement, nous sommes convaincus que la force ne trouve pas son expression dans une armée, dans des tanks et des armes lourdes, mais bien plutôt s'exprime en définitive dans le travail en commun de la volonté populaire !
La volonté qui unit nos groupes avec la conviction que les hommes et les femmes doivent apprendre le sentiment de communauté pour se protéger contre l'esprit de lutte des classes, de haine de classes et de division de classes ! …
Nous approchons d'une vie communautaire, d'une vie de révolution ! Une vie commune afin  de travailler à un avancement révolutionnaire de la paix, de la prospérité spirituelle et du socialisme ! Vers un renouvellement victorieux de la vie même !…
Notre travail, c'est d'éveiller chacun, et de faire disparaître les illusions ! De sorte que, lorsque les gens seront enfin réveillés, plus jamais ils ne replonge dans le sommeil !
La révolution n'aura pas de fin ! Elle doit pouvoir se répandre en ruisseaux de révolutions, et être guidée dans le chenal de l'évolution. . .
L'histoire jugera le mouvement non pas selon le nombre de pourceaux que nous aurons supprimés ou emprisonnés, mais selon que la révolution aura réussi à restituer le pouvoir au peuple et dans le contrôle de ce pouvoir pour faire respecter la volonté du peuple, partout! . . .
Le pouvoir au peuple !"
Un discours de 10 minutes, pas plus.
Ovation ! Acclamations !
Le "digger" est en passe de devenir le héros du jour. Dès qu'un semblant de calme se fait, Grogan - qui était resté absolument stoïque – reprend la parole. Certes, il comprend leur enthousiasme, cependant, dans la mesure où il n'est pas l'auteur du discours, il ne peut accepter pour lui les applaudissements. Aussi s'empresse-t-il de dévoiler le nom de l'auteur, un certain… Adolf Hitler.
Le choc est immense ! Tous ces idéalistes se rendent compte qu'ils se sont fait avoir, et leur rage se tourne contre Grogan… qui s'est esquivé. Cependant, l'objectif de Grogan n'était pas de les ridiculiser.

Il leur avait dit ce qu'ils voulaient entendre, avait suscité leur enthousiasme… mais que savaient-ils de ce qu'il pensait réellement ? En fait, il leur démontrait superbement – afin de les mettre en garde – que toute rhétorique pouvait bien, en certains cas, n'être qu'un vil baratin. 
A eux – à nous – d'être vigilant.

Emmett Grogan rapporte cet épisode dans Ringolevio. La référence qu'il donne à un discours prononcé au Reichstag en 1937 semble erronée, mais le discours en lui-même semble bien être authentique/
Ce qui rappelle une phrase de Bonhoeffer, à propos du tout nouveau chancelier du Reich, en 1933 : "l’image du chef  glisse vers l’image du séducteur" (ce qui sonne beaucoup mieux en allemand : "Dann gleitet das Bild des Führers über in das des Verführers")

The Grateful Dead - Morning Dew (1967)

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